26 octobre 2012 5 26 /10 /octobre /2012 16:51

Il s'agit bien, en définitive, dans l'abolition, d'un choix fondamental, d'une certaine conception de
l'homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction :
qu'il existe des hommes totalement coupables, c'est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu'il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir.


A cet âge de ma vie, l'une et l'autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n'est pas d'hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible.


Et je ne parle pas seulement de l'erreur judiciaire absolue, quand, après une exécution, il se révèle,
comme cela peut encore arriver, que le condamné à mort était innocent et qu'une société entière - c'est-à dire nous tous- au nom de laquelle le verdict a été rendu, devient ainsi collectivement coupable puisque sa justice rend possible l'injustice suprême. Je parle aussi de l'incertitude et de la contradiction des décisions rendues qui font que les mêmes accusés, condamnés à mort une première fois, dont la condamnation est cassée pour vice de forme, sont de nouveau jugés et, bien qu'il s'agisse des mêmes faits, échappent, cette fois-ci, à la mort, comme si, en justice, la vie d'un homme se jouait au hasard d'une erreur de plume d'un greffier. Ou bien tels condamnés, pour des crimes moindres, seront exécutés, alors que d'autres, plus coupables, sauveront leur tête à la faveur de la passion de l' audience, du climat ou de l'emportement de tel ou tel.


Cette sorte de loterie judiciaire, quelle que soit la peine qu'on éprouve à prononcer ce mot quand il y
va de la vie d'une femme ou d'un homme, est intolérable. Le plus haut magistrat de France, M. Aydalot, au terme d'une longue carrière toute entière consacrée à la justice et, pour la plupart de son activité, au parquet, disait qu'à la mesure de sa hasardeuse application, la peine de mort lui était devenue, à lui magistrat, insupportable. Parce qu'aucun homme n’est totalement responsable, parce qu'aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable.


Robert Badinter, Garde des sceaux, ministre de la Justice.
Discours à l'assemblée nationale sur l'abolition de la peine de mort, 17 septembre 1981.

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commentaires

A
On ne tue pas les gens pour les apprendre à vivre, comme dit l'adage.<br /> Même s'il était avéré qu'un homme soit totalement responsable d'un crime et mérite la mort par justice, ce serait lui refuser la chance de se racheter que de mettre fin à ses jours.<br /> Une justice qui s'en tiendrait ainsi à l'équité serait inhumaine : une justice humaine doit savoir pardonner (dans les limites de la prudence).<br /> Sans compter que l'homme est incapable de juger la personne. On est jamais né à la place d'un autre : aussi on ne peut que préjuger la personne et jamais la juger (avec des informations<br /> suffisantes). Et même s'il en était capable, l'homme ne connaît pas le devenir de la personne et ne pourrait donc la juger complètement non-plus.<br /> L'homme n'est capable que de juger les actes, en soi, et encore avec une échelle de valeur subjective.<br /> La justice des hommes doit donc se contenter de juger les actes en soi, et d'une manière humaine : à la hauteur de l'humain, avec pédagogie, etc.<br /> <br /> D'un autre côté, que faire des cas incurables ? Certains diront : la prison à vie. Mais celle-ci n'est-elle pas une forme de peine de mort ?
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