Devant Tinnabulum, la porte du sas s'ouvrit. Au moment où il entrait dans la nouvelle salle, le sas se referma derrière lui : pour cette énigme, il serait seul.
Il faisait noir, et il faillit trébucher plusieurs fois sur les aspérités de la salle. Une voix métallique retentit : « Pour atteindre la prochaine étape, il va falloir trouver le bon chemin… trois portes, deux fausses. Pour les garder, un ogre (les cheveux du lutin se hérissèrent, l'aversion des ogres pour sa race était bien connue). Mais attention, pas n'importe quel ogre ! Cet ogre ment un jour sur deux, et dit la vérité le reste du temps. Tu peux lui poser une question… et une seule. Si tu te trompes de porte, il te mangera avec de la vinaigrette – sans vinaigrette, le lutin a mauvais goût, c'est bien connu. Bonne chance… »
Les échos d'un rire sadique rebondirent sur la roche, tandis que la lumière se faisait et que la pièce s'éclairait, révélant à Tinnabulum les trois portes de Porphyre et – gloups – l'ogre de trois mètres de haut, habillé d'un pagne rouge.
Notre héros fut soudain frappé d'une pensée : la voix ne lui avait pas dit si l'ogre disait la vérité ou s'il mentait aujourd'hui. Quelle galère !
Solution :
Bizarrement, la perspective de finir en vinaigrette suffit à motiver le lutin. En quelques secondes, son cerveau mobilisait toutes les réserves de sucre pour réfléchir ; ce serait toujours ça que l'ogre n'aurait pas dans le pire des cas !
Électrisé par l'adrénaline, il se souvint d'une affaire similaire rencontrée quand il était jeune : deux gardes (un qui ment et un qui dit la vérité) pour deux portes (une bonne et une mauvaise), et une seule question. L'astuce consistait à faire intervenir dans le raisonnement de l'ogre interrogé la pensée de l'autre ogre, en demandant « Si je demandais à l'autre garde quelle est la bonne porte, que me montrerait-t-il ? ».
- S'il s'agissait du menteur, il sait que l'autre dira la vérité et montrera la bonne porte, devant mentir, il inversera donc et montrera la mauvaise porte (VRAI × FAUX = FAUX) ;
- S'il s'agissait du garde souffrant d'honnêteté radicale, il sait que l'autre ment et montrera la mauvaise porte, il renverra donc directement l'information (FAUX × VRAI = FAUX).
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Dans les deux cas, la porte désignée est la mauvaise ; il suffit alors de prendre la porte inverse pour s'en sortir sans problème.
Ici, il n'y avait pas deux gardes, mais un seul. Pas de problème ! Il suffit d'adapter la question : « si je t'avais demandé hier quelle est la bonne porte, qu'aurais-tu-dit ? ».
En revanche, il y avait trois portes… ce qui compliquait légérement l'affaire : en lui posant la question, il montrerait une porte (forcément une fausse), mais il resterait encore une chance sur deux de se planter. Et pas question de jouer son année sur Tair au hasard !
Voyons voir… il montrait une mauvaise porte, mais cette fois l'information ne suffisait pas. En terme de logique, il aurait fallu forcer l'ogre à inverser sa réponse… sémantiquement, cela signifiait donc mettre une négation dans la question : « si je t'avais demandé hier quelle n'est pas la bonne porte, qu'aurais-tu dit ? ».
Autrement dit :
- L'ogre est dans son jour où il ment, il sait que l'autre montrera une mauvaise porte. Il montrera donc la bonne porte… ah non, il se peut qu'il montre l'autre mauvaise porte !
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Tinnabulum réfléchit. Pourtant, son raisonnement semblait juste : mathématiquement, il fallait appliquer la contraposée (¬). Et d'un point de vue linguistique, cela se traduisait bien par une négation ! Quelques secondes de réflexion supplémentaires – histoire de terminer les réserves de sucre, et l'illumination lui vient : c'était sa négation qui n'était pas bonne ! Il ne fallait pas la placer en première partie de phrase, mais en deuxième : « si je t'avais demandé hier quelle est la bonne porte, que n'aurais-tu pas dit ? »
- Si l'ogre est en période menteur, il sait qu'hier il aurait montré une des deux mauvaises portes. Pour mentir, il est donc contraint de désigner la bonne porte ;
- Si l'ogre est en période vérité, il sait qu'hier il aurait montré une des deux mauvaises portes. Pour dire la vérité, il donnera donc la bonne porte cette fois aussi.
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Aussitôt dit, aussitôt fait : l'ogre désigna la porte du milieu, que le lutin s'empressa de franchir. Derrière lui, le sas s'ouvrit, livrant passage à un nouveau lutin qui allait affronter la même énigme.